Le besoin d'empathie n'a jamais été aussi grand, à hauteur de la réponse nécessaire à la peur de l'autre et aux appels à son rejet, dans les urnes tout comme dans la rue. Ce que peut en dire l'anthropologue (ou l'ethnologue, c'est-à-dire l'anthropologue lorsqu'il mène ses enquêtes de terrain) n'est pas de l'ordre du jugement, de l'indignation ou de la compassion. C'est le récit d'une expérience : le monde vu depuis le lieu qu'occupent celles et ceux que Michel Agier rencontre, sur son « terrain ». Tout commence donc par la décision d'une rencontre, puis d'un échange et enfin d'une description du monde sans début ni fin, comme un exercice à la fois utile, permanent et accessible à toutes et tous. Tout ce qu'il peut comprendre, le savoir qu'il peut produire et transmettre, l'anthropologue le doit à l'histoire renouvelée d'une rencontre et d'une relation qui s'établit avec le monde qu'il découvre. Une relation qui, par méthode, le conduit vers l'empathie, seul moyen d'échapper aux préjugés et aux idées reçues.
« Mauss s'est montré toute sa vie obsédé par le précepte [...] selon lequel la vie psychologique ne peut acquérir un sens que sur deux plans : celui du social, qui est langage ; ou celui du physiologique, c'estàdire l'autre forme, cellelà muette, de la nécessité du vivant. Jamais il n'est resté plus fidèle à sa pensée profonde et jamais il n'a mieux tracé à l'ethnologue sa mission d'astronome des constellations humaines, que dans cette formule où il a rassemblé la méthode, les moyens et le but dernier de nos sciences et que tout Institut d'ethnologie pourrait inscrire à son fronton : "Il faut, avant tout, dresser le catalogue le plus grand possible de catégories ; il faut partir de toutes celles dont on peut savoir que les hommes se sont servis. On verra alors qu'il y a encore bien des lunes mortes, ou pâles, ou obscures, au firmament de la raison." »
« Que restera-t-il de l'humanité lorsque toutes nos forêts auront été brûlées, nos rivières asséchées, nos ressources naturelles épuisées ? » L'itinéraire de l'Indonésien Iwan Asnawi, qui a renoncé à son métier d'avocat pour devenir guérisseur, est extraordinaire à plus d'un titre. Iwan Asnawi a grandi dans la jungle indonésienne, sur un territoire qui deviendra l'un des plus déforestés de son pays, et socialement le plus dangereux. Par son histoire, il est le témoin de la vie politique de son pays, des conséquences écologiques, culturelles et sociales désastreuses de la déforestation massive imposée par la dictature militaire qui a sévi pendant plus de trente ans en Indonésie. Cet ouvrage rend honneur à l'histoire indonésienne, à ses clans, à ses croyances, à son syncrétisme spirituel si étonnant d'un point de vue européen. On comprend que détruire la jungle, c'était détruire une spiritualité ancestrale. Mais Iwan est animé par l'espoir d'un avenir possible, qui renouerait avec les valeurs qui ont construit l'identité indonésienne, dont de nombreux clans spirituels perpétuent aujourd'hui la transmission.
L'étrangeté d'un destin unique, celui de ces peuples solidement implantés avant leurs conquérants, réduits par le temps à une minorité peu nombreuse et qui sont réapparus récemment dans le cours de l'histoire.
Agriculteurs dans l'ère himalayenne, les Na sont une ethnie de Chine, qui a toujours vécu sans institution du mariage. Comment une société peut-elle fonctionner sans père ni mari ? Frères et soeurs partagent le même feu et élèvent ensemble les enfants des femmes. Comme dans toute autre société, il y a prohibition de l'inceste, les hommes pratiquent un système de visites nocturnes. Ce système de vie sociale semble être unique au monde et entraîne un changement fondamental dans l'analyse sociologique de la famille et du mariage.
Le chamanisme est l'un des grands systèmes imaginés par l'homme pour donner sens aux événements et agir sur eux. Étroitement lié au rêve, il suppose une alliance spécifique avec les « dieux ».
Le chamane est là pour prévenir tout déséquilibre et répondre à toute infortune : l'expliquer, l'éviter ou la soulager. Véritable « praticien du rêve », il comble à sa manière une béance entre l'esprit humain et le monde mal adapté qui l'entoure. Réunissant des qualités que notre culture sépare, il nous fascine, et parfois nous aveugle.
Les questions que se posent les sociétés chamaniques rejoignent souvent les nôtres, mais leurs réponses sont originales. C'est pourquoi elles nous intéressent tous. C'est pourquoi aussi médecins, psychologues, psychanalystes et spécialistes des religions reconnaîtront ici, comme en un miroir déformant, les objets de leurs disciplines.
Enraciné dans une expérience vécue sur une période de plus de quinze ans avec un peuple indien d'Amérique qui fait des rêves un grand usage social, intellectuel et religieux, ce livre s'interroge également sur cette dualité qui lie l'ethnologue aux gens avec qui il a longtemps partagé sa vie.
Cet ouvrage est le fruit d'une expérience de l'enseignement universitaire de l'anthropologie des religions, éclairée par la fréquentation des grands auteurs autant que par la connaissance du terrain des religions, notamment africaines.
Ce parcours personnel n'est ni une simple introduction à l'anthropologie des religions, ni une étude spécialisée des grandes figures de l'anthropologie et de leurs théories de la religion. Les choix retenus privilégient l'association étroite d'un anthropologue, d'une oeuvre et d'un objet : par exemple, Claude Lévi-Strauss, Le totémisme aujourd'hui, et la fonction symbolique. Sont donc étudiés ici des auteurs aussi importants que R. Bastide, M. Augé, J. Favret-Saada, Cl. Geertz ou encore R. Hertz. Chemin faisant, les filiations et les reprises du questionnement sont soulignées autant que les ruptures. Le fil conducteur est la question qu'Evans-Pritchard fut l'un des premiers à poser : le rapport des anthropologues aux choses religieuses dans la construction même de leurs objets.
Présente les bases indispensables à la compréhension du continent noir, en soulignant l'importance des liens familiaux et claniques, le rôle joué par les ancêtres et les forces invisibles comme médiateurs avec le transcendant, les rapports existant entre les divers éléments de la nature et de l'histoire africaines.
« Publié en 1925, La Barrière et le Niveau fait partie de ces oeuvres majeures qui ont exercé une influence souterraine très puissante sur la sociologie française de l'éducation et de la culture des années 1960-1970. Écrit par un philosophe des sciences, épistémologue et logicien, Edmond Goblot (1858-1935), le livre n'a presque jamais été cité par les sociologues qui se sont pourtant approprié ses schèmes interprétatifs, son langage, et parfois même sa tonalité critique. Ce n'est donc que justice que de rappeler la dette contractée à l'égard de ce travail lumineux.
En lisant Goblot, les sociologues ne pouvaient manquer d'y trouver un soutien dans leur entreprise de déplacement du regard scientifique de l'économique vers le symbolique. Pour ce philosophe, en effet, les différences de richesse économique ne suffisent pas à différencier les classes sociales. Ce sont les ("bonnes") manières de voir, de sentir et d'agir dans les différents domaines de l'existence (dans l'ordre du langage ou du geste, dans le comportement en société comme dans le choix du vêtement, du logement ou du mobilier) qui font de la bourgeoisie ce qu'elle est en tant que classe dont les privilèges ne sont pas donnés à la naissance. Cette dernière installe donc des barrières entre elle et les classes subalternes qui sont légalement franchissables et continuellement franchies, lui imposant ainsi l'invention régulière de nouveaux obstacles pour tenir les autres classes à bonne distance.
Goblot porte aussi sur les classes sociales un regard de logicien. Dans l'ordre des "jugements de valeur" qui circulent dans la vie sociale, il voit à l'oeuvre une mystique proche de ce que L. Lévy-Bruhl désignait sous le nom de "mentalité prélogique". Les jugements collectifs, et tout particulièrement les "jugements de classe", n'ont rien de très rationnel ou de très logique. Ils relèvent d'une magie sociale qui repose le plus souvent sur des associations infra-conscientes. Quant aux signes extérieurs de richesse culturelle ou économique, ils agissent comme des "nuages d'émotions" qui empêchent de voir les individus avec un regard objectif.
Derrière l'analyste perspicace, pointe le critique social ou le moraliste qui rêve, de toute évidence, d'un monde où les différences sociales ne se fonderaient que sur le talent et le mérite personnels. À ses yeux, la bourgeoisie a fait historiquement un pas dans la bonne direction mais ne s'approprie du savoir, de la culture et de la morale que ce qui peut lui être utile dans sa stratégie de reproduction ou de maintien des différences sociales. Les sociologues de l'éducation et de la culture des années 1960-1970 révoqueront en doute l'idéologie méritocratique comme l'idéologie du don naturel, mais ils n'en auront pas moins bénéficié, et nous comme eux, du réseau d'argumentations sociologiquement pertinentes condensé dans La Barrière et le Niveau. » (B. Lahire)
« Les conduites d'anticipation s'imposent aujourd'hui dans leur grande variété comme un fait majeur de notre temps », constatait l'auteur dès 1990 lors de la première édition de ce texte dans la collection «?Psychologie d'aujourd'hui?». Plusieurs fois réédité et corrigé, ce manuel est devenu une introduction classique à l'analyse de ce que l'on appelle les « conduites à projet » et « les cultures de projet ».
Mais «?lorsqu'il passe de la phase de conception à la phase de réalisation, le projet constitue-t-il un guide efficace à l'action???» Que nous apprend le projet sur la condition humaine lorsque celle-ci se préoccupe du « faire advenir » ? Cette approche anthropologique du projet vise à identifier la diversité des situations, à repérer les invariants, à comprendre comment fonctionne le projet dans différents ensembles culturels, à s'interroger sur la façon dont les individus, les groupes, les cultures construisent et vivent leur rapport au temps.
En partant de la grande diversité des évaluations de projet ou de la constitution fréquente aujourd'hui de monographies de projet, il est possible d'identifier les règles incontournables sans lesquelles tout projet va se trouver inévitablement malmené ; mettre en évidence ces règles, c'est faire oeuvre de grammairien cherchant à définir le cadre incontournable à l'intérieur duquel va pouvoir se déployer l'espace de possibles que va utiliser l'écriture d'un projet ; ces différentes règles sont ici passées en revue, depuis l'art du jet et la démarche itérative du travail de conception et de réalisation jusqu'à la rose des vents des projets, la sémiotique des acteurs, en passant par le bon usage des paronymes du projet, les sept grandes familles de projet et les relations capricieuses entre programme et projet. Ces neuf règles identifiées permettent d'esquisser les caractéristiques fondatrices de toute conduite de projet.
Autrefois figures du "sauvage", aujourd'hui modèles d'harmonie avec la nature, les descendants des premiers habitants du Nouveau Monde sont pourtant tout aussi concernés que quiconque par la vie moderne, y compris les technologies et la globalisation économique. Elles les atteignent au coeur de leurs territoires et produisent sur eux le même effet que partout en les incitant à quitter les campagnes pour les villes. Devenus urbains ils restent toujours des Indiens pour eux-mêmes et ceux qui les côtoient tout en s'appropriant un territoire, comme ces Indiens mixtèques émigrés en Californie, et s'y faisant une place économique, sociale et politique.
Le mot ethnie remonte à moins de cent ans. Mais le phénomène ethnique est une donnée fondamentale de nos sociétés, intéressant l'anthropologie, la sociologie, la science politique, le droit, l'histoire et la géographie.
L'auteur s'est attaché à confronter les travaux des historiens brésiliens et la réalité ethno-sociologique de l'Afrique noire, de manière à mettre l'accent sur la réelle identité des femmes, des enfants et des hommes, déportés à tout jamais de leur terre natale.
Cet ouvrage pour tous publics présente les principales fêtes et traditions du calendrier occidental en Europe et en Amérique du Nord : carnaval, 1er avril, Halloween, Noël, Saint-Valentin... suivies d'un bref rappel des fêtes juives et musulmanes. Leurs origines agraires, religieuses ou historiques, lointaines et parfois obscures, témoignent de la volonté constante de l'homme de vaincre les incertitudes de sa destinée.
Margaret Mead prétendait en 1928, avoir observé aux Iles Samoa que la liberté sexuelle chez les adolescents était favorisée par la culture polynésienne. En réalité M. Mead a reproduit un mythe occidental ancien, dont l'ouvrage ici révèle le mécanisme : comment le mythe a orienté la préparation puis le contenu de l'enquête de Mead. Il fournit également les résultats d'une récente enquête sur les représentations culturelles de la sexualité à Samoa.
Dèqs que le hasard impose sa loi, des rites régissent les pratiques les plus techniques. Ces rites et ces pratiques sont-ils à conserver et à considérer comme du patrimoine vivant à conserver ? ou comme des ressources d'énergie à mobiliser ? mais alors pour quels projets et pour quels mondes ? De ces rites il y a encore beaucoup de matière à penser.
Comment nos enfants éduquent-ils leurs enfants ? Chaque génération se socialise sur la base des modèles culturels transmis par la génération précédente et pour le sociologue, la transmission joue un rôle essentiel dans le processus de la socialisation. C'est dans la famille que cette transmission se fait dès le plus jeune âge, son impact est considérable. Mais les mutations d'une société s'interposent entre ce qui est transmis et ce qui est hérité et les objets de la transmission se transforment au gré de la succession des générations. La transmission est une histoire évolutive, complexe dans la diversité des formes et des structures de la socialisation avec des perpétuelles mutations dans le temps. Cet ouvrage sur la transmission est réalisé à la suite d'enquêtes par des sociologues connus pour leurs travaux sur l'éducation familiale.
La conflictualité contemporaine est de plus et plus souvent interprétée en termes ethniques. Le mot lui-même est régulièrement associé à des aspects dégradants et rétrogrades de l'humanité. L'apparition du concept d'ethnicité est récente dans la langue française contrairement aux pays anglo-saxons. Cet ouvrage propose aux lecteurs francophones une réflexion sur les différentes approches.
Dans l'histoire des sciences sociales reviennent, périodiquement et sous diverses formes, deux questions fondamentales : la nature exacte de l'objet des sciences humaines et sociales et la possibilité de penser une théorie générale. A partir d'une étude comparative des quatre systèmes de représentation de la reproduction humaine, dans la lignée de ses travaux sur les Na de Chine, l'auteur tente ici de formaliser un système de la parenté qui clarifie les notions de "culture", d'"ethnie" et de "société" et qui distingue les caractéristiques de l'objet des sciences naturelles d'un côté, de celles de l'objet des sciences sociales de l'autre. En repensant ainsi l'approche anthropologique selon la triple et très nette distinction du biologique, du culturel et du social, Hua Cai montre que la parenté est culturelle et sociale et avance de nouvelles propositions épistémologiques qui remettent en question un certain rationalisme occidental et seraient utiles aux autres sciences humaines et sociales.
Ce carnet de voyage est un prétexte : la collection de courts essais qui le constitue offre bien plus qu'une chronique humoristique des pérégrinations d'un Africain en Extrême-Orient. Ici, l'Asie n'est ni un lieu de villégiature ni une destination touristique, mais une vocation philosophique, une ressource pour penser la différence et l'identité. L'auteur considère que le fait de quitter les univers qui lui sont familiers est une expérience spirituelle indispensable. À travers des anecdotes, des faits vécus, des observations et des réflexions, il invalide l'alternative stérile entre universalisme et relativisme, et présente le dépaysement comme un élément primordial de la pratique de soi. L'humilité est donc à la fois un mode de connaissance, un vecteur d'accès à l'imaginaire d'autrui, et un moyen de méditer sur le sublime. Rejetant l'illusion d'un ordre moral qui régirait un quelconque choc des civilisations, cette quête d'absolu suggère, au final, un assortiment d'éléments pour déchiffrer la condition humaine.
Les présents entretiens, qui ne sont pas conduits à la façon d'une pure conversation, font dire ce qu'est le savoir en sciences humaines et sociales rapporté à un long parcours de recherche et d'engagement. Ils ont leur source dans une interrogation du monde et de l'Histoire, l'un saisi dans sa diversité, l'autre dans ses turbulences.
Ce parcours est celui de Georges Balandier. Il accompagne la traversée d'une oeuvre qui, commencée avec l'anthropologie des sociétés de l'ailleurs, mène à l'interprétation actuelle de la surmodernité mondialisante : on y mesure l'itinéraire accompli, depuis les premiers travaux sur la « situation coloniale », le « tiers monde » et les libérations africaines, jusqu'aux interrogations portant sur le « grand dérangement » des sociétés contemporaines. On y mesure également la fracture anthropologique effectuée au tournant du XXe siècle et l'entrée subreptice dans un nouvel Âge, avec l'émergence rapide de « nouveaux nouveaux mondes » dissociés de la géographie et issus de la « grande transformation » continûment à l'oeuvre depuis trois décennies. Ces mondes, nous les habitons dans un dépaysement croissant, à tel point qu'ils en deviennent un autre ailleurs, engendré cette fois par les contemporains.
L'expérience mystique fait encore l'objet d'appréciations contradictoires : certains théologiens la considèrent comme l'unique voie d'accès possible au transcendant, d'autres la réduisent à des phénomènes hallucinatoires ou même à des formes de délire relevant de la psychiatrie (ce "sentiment océanique" évoqué par Romain Rolland, Freud le considère d'ailleurs comme une pathologie mentale). Mais de nombreuses personnes ont connu des extases comparables à celles décrites par des auteurs religieux. L'auteur les nomme des "mystiques sauvages", en ce sens que leur expérience, spontanée ou provoquée, ne s'inscrit dans aucun cadre religieux défini. A partir de leurs témoignages, la réflexion philosophique menée par Michel Hulin montre comment cette expérience mystique peut dévoiler une part d'absolu alors même qu'elle se situe en lisière de la folie.
Une ethnologie de l'Europe décrit les peuples en présence et leurs projets, et signale les conflits et leurs enjeux.