Peut-être avons-nous honte aujourd'hui de nos prisons. Le XIXe siècle, lui, était fier des forteresses qu'il construisait aux limites et parfois au coeur des villes. Ces murs, ces verrous, ces cellules figuraient toute une entreprise d'orthopédie sociale.
Ceux qui volent, on les emprisonne ; ceux qui violent, on les emprisonne ; ceux qui tuent, également. D'où vient cette étrange pratique et le curieux projet d'enfermer pour redresser, que portent avec eux les Codes pénaux de l'époque moderne ? Un vieil héritage des cachots du Moyen Âge ? Plutôt une technologie nouvelle : la mise au point, du XVIe au XIXe siècle, de tout un ensemble de procédures pour quadriller, contrôler, mesurer, dresser les individus, les rendre à la fois "dociles et utiles". Surveillance, exercices, manoeuvres, notations, rangs et places, classements, examens, enregistrements, toute une manière d'assujettir les corps, de maîtriser les multiplicités humaines et de manipuler leurs forces s'est développée au cours des siècles classiques, dans les hôpitaux, à l'armée, dans les écoles, les collèges ou les ateliers : la discipline.
La prison est à replacer dans la formation de cette société de surveillance.
La pénalité moderne n'ose plus dire qu'elle punit des crimes ; elle prétend réadapter des délinquants. Peut-on faire la généalogie de la morale moderne à partir d'une histoire politique des corps ?
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Pour les nazis, la 'culture' était à l'origine la simple transcription de la nature : on révérait les arbres et les cours d'eau, on s'accouplait, se nourrissait et se battait comme tous les autres animaux, on défendait sa horde et elle seule. La dénaturation est intervenue quand les Sémites se sont installés en Grèce, quand l'évangélisation a introduit le judéo-christianisme, puis quand la Révolution française a parachevé ces constructions idéologiques absurdes (égalité, compassion, abstraction du droit...).
Pour sauver la race nordique-germanique, il fallait opérer une 'révolution culturelle', retrouver le mode d'être des Anciens et faire à nouveau coïncider culture et nature. C'est en refondant ainsi le droit et la morale que l'homme germanique a cru pouvoir agir conformément à ce que commandait sa survie. Grâce à la réécriture du droit et de la morale, il devenait légal et moral de frapper et de tuer.
Avec ce recueil d'études, Johann Chapoutot parachève et relie le projet de deux de ses livres précédents, Le National-socialisme et l'Antiquité (2008) et La Loi du sang : penser et agir en nazi (2014). En approfondissant des points particuliers, comme la lecture du stoïcisme et de Platon sous le IIIe Reich, l'usage de Kant et de son impératif catégorique ou la réception en Allemagne du droit romain, il montre comment s'est opérée la réécriture de l'histoire de l'Occident et par quels canaux de telles idées sont parvenues aux acteurs des crimes nazis.
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Les sciences humaines d'aujourd'hui sont plus que du domaine du savoir : déjà des pratiques, déjà des institutions. Michel Foucault analyse leur apparition, leurs liens réciproques et la philosophie qui les supporte. C'est tout récemment que l''homme' a fait son apparition dans notre savoir. Erreur de croire qu'il était objet de curiosité depuis des millénaires : il est né d'une mutation de notre culture. Cette mutation, Michel Foucault l'étudie, à partir du XVIIe siècle, dans les trois domaines où le langage classique - qui s'identifiait au Discours - avait le privilège de pouvoir représenter l'ordre des choses : grammaire générale, analyse des richesses, histoire naturelle. Au début du XIXe siècle, une philologie se constitue, une biologie également, une économie politique. Les choses y obéissent aux lois de leur propre devenir et non plus à celles de la représentation. Le règne du Discours s'achève et, à la place qu'il laisse vide, l''homme' apparaît - un homme qui parle, vit, travaille, et devient ainsi objet d'un savoir possible.
Il ne s'agit pas là d'une 'histoire' des sciences humaines, mais d'une archéologie de ce qui nous est contemporain. Et d'une conscience critique : car le jour, prochain peut-être, où ces conditions changeront derechef, l''homme' disparaîtra, libérant la possibilité d'une pensée nouvelle.
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Nommé au Collège de France, Michel Foucault a entrepris, durant la fin des années soixante-dix, un cycle de cours consacré à la place de la sexualité dans la culture occidentale : l'Histoire de la sexualité, articulée en trois volumes (La volonté de savoir, L'usage des plaisirs et Le souci de soi). Il y prolonge les recherches entreprises avec L'archéologie du savoir et Surveiller et punir, mais en concentrant ses analyses sur la constellation de phénomènes que nous désignons par le "sexe" et la sexualité. L'axe de cette entreprise n'est pas de s'ériger contre une "répression" de la sexualité afin de la "libérer", mais de montrer comment la vie sexuelle a enclenché une volonté systématique de tout savoir sur le sexe qui s'est systématisée en une "science de la sexualité", laquelle, à son tour, ouvre la voie à une administration de la vie sexuelle sociale, de plus en plus présente dans notre existence. Foucault fait ainsi l'archéologie des discours sur la sexualité (littérature érotique, pratique de la confession, médecine, anthropologie, psychanalyse, théorie politique, droit, etc.) depuis le XVIIe siècle et, surtout, au XIXe, dont nous héritons jusque dans les postures récentes de libération sexuelle, l'attitude de censure et celle d'affranchissement se rencontrant finalement dans le même type de présupposé : le sexe serait cause de tous les phénomènes de notre vie comme il commanderait l'ensemble de l'existence sociale.
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Devant l'ampleur et le caractère inédit des crimes nazis, les historiens butent sur la causalité profonde, qui reste obscure. Ces comportements monstrueux s'appuient pourtant sur des fondements normatifs et un argumentaire juridique qu'il faut prendre au sérieux. C'est ce que fait ici Johann Chapoutot dans un travail majeur qui analyse comment les philosophes, juristes, historiens, médecins ont élaboré les théories qui faisaient de la race le fondement du droit et de la loi du sang la loi de la nature qui justifiait tout : la procréation, la guerre génocidaire, la domination.
Une profonde connaissance de l'immense littérature publique ou privée - correspondances, journaux intimes -, de la science et du cinéma du temps, révèle comment les acteurs se sont approprié ces normes qui donnent sens et valeur à leurs manières d'agir : tuer un enfant au bord de la fosse relève, à les entendre, de la bravoure militaire face à l'ennemi biologique.
Si le métier d'historien consiste à comprendre et non à juger, ou à mieux comprendre pour mieux juger, ce livre, devenu un classique et primé par Yad Vashem, jette une lumière neuve et originale sur le phénomène nazi.
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L'être et le néant est un des textes majeurs de la deuxième moitié du XXe siècle. Jean-Paul Sartre (1905-1980) y pose les fondations de l'existentialisme : si Dieu n'existe pas, l'homme ne trouve ni en lui, ni hors de lui, des excuses ou des valeurs auxquelles s'accrocher; dès lors que l'existence précède l'essence, nul ne peut se réfugier derrière une nature humaine donné et figée. Où qu'il regarde, l'homme est seul, sans excuses, condamné à être libre.
"L'être ne saurait engendrer que l'être et, si l'homme est englobé dans ce processus de génération, il ne sortira de lui que de l'être. S'il doit pouvoir interroger sur ce processus, c'est-à-dire le mettre en question, il faut qu'il puisse le tenir sous sa vue comme un ensemble, c'est-à-dire se mettre lui-même en dehors de l'être et du même coup affaiblir la structure d'être de l'être. Toutefois il n'est pas donné à la "réalité humaine" d'anéantir, même provisoirement, la masse d'être qui est posée en face d'elle. Ce qu'elle peut modifier, c'est son rapport avec cet être. Pour elle, mettre hors de circuit un existant particulier, c'est se mettre elle-même hors de circuit par rapport à cet existant. En ce cas elle lui échappe, elle est hors d'atteinte, il ne saurait agir sur elle, elle s'est retirée par-delà un néant. Cette possibilité pour la réalité humaine de sécréter un néant qui l'isole, Descartes, après les Stoïciens, lui a donné un nom : c'est la liberté."
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Dans ce deuxième volume, Foucault poursuit son enquête historique sur les sources de notre sexualité occidentale. Il a dû infléchir son projet initial pour s'intéresser aux sources antiques, grecques et surtout romaines.
La recherche se développe selon tous les aspects concernés par la sexualité et prend ainsi les dimensions d'une anthropologie générale du plaisir. Foucault ne néglige pas non plus l'économie de la sexualité et son inscription dans un cadre social et juridique, et il étudie le statut du mariage, ainsi que l'organisation des foyers. Enfin, l'ouvrage se conclut sur un traité d'érotique et une réflexion sur ce que serait l'amour véritable.
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Cet essai entend replacer la lecture dans la vie ; pas forcément en son centre (ça se saurait), mais dans son cours. Observer tout ce que l'on demande aux livres, comment on les mêle à l'existence, à quels moments on les lâche. Affirmer que l'on ne quitte pas sa vie en lisant, mais que ce qui se passe dans la lecture a un avenir sur cette vie: on y essaie des pensées, des façons de dire et de se rapporter aux autres, des manières de percevoir, on module son propre accès au monde, on tente d'autres liens, d'autres gestes, d'autres rythmes, d'autres communautés...
C'est aussi, plus secrètement, un témoignage sur les bonheurs potentiels d'une vie menée avec et parmi les livres : le témoignage de quelqu'un (quelqu'une !) qui passe sa vie avec des livres plein les mains et plein la tête et ne croit pas du tout, dans ces compagnonnages, tourner le dos au monde tel qu'il est, se priver du dehors ou s'éloigner des autres, bien au contraire.
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Le troisième et dernier volume de l'histoire de la sexualité est consacré à la formation de l'individu telle qu'elle a été développée à travers des textes souvent peu analysés - Artémidore, Galien, le Pseudo-Lucien -, mais déterminants dans la mise en place d'une finalité générale de la culture qui culmine dans l'émergence d'une personnalité singulière, capable de faire le meilleur usage de son corps et de son esprit harmonieusement éduqué pour le rendre à même d'assumer les fonctions politiques auxquelles il est d'emblée destiné. Le souci de soi n'est pas égoïsme étroit, mais recherche de la vie selon un ordre qui assure la pérennité de la Cité, et que l'on cherche à déduire de la nature telle qu'on en comprend les lois. Foucault se révèle ainsi en quête de rétablir certains liens, rompus par la modernité, avec une tradition antique classique qu'il nous fait redécouvrir.
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Aussi loin de la doctrine que de la recette, Louis Jouvet (1887-1951) tentait, par un dialogue incessant avec ses élèves, de leur faire sentir quel doit être le comportement du comédien dans l'exercice de son métier. Sténographiés et fidèlement transcrits, les cours très vivants qui composent ce volume concernent l'oeuvre de Molière, dont on célèbre les quatre cents ans, et la comédie classique (Le Misanthrope, Les Femmes savantes, Le Malade imaginaire, L'Avare ou Dom Juan, avec quelques incursions chez Marivaux ou Beaumarchais). Ils ont été donnés par Jouvet entre novembre 1939 et décembre 1940 au Conservatoire national supérieur d'art dramatique.
À travers les plus grandes scènes de notre théâtre, le grand comédien et metteur en scène traite notamment de la diction, de la respiration, de l'interprétation du personnage, de la situation dramatique, de l'état physique et psychologique du comédien...
Une plongée érudite et enjouée dans le théâtre de Molière.
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En 1868, à Paris, un homme se donne la mort en laissant à la postérité un manuscrit autobiographique. C'est l'"Histoire d'Alexina B." que publiera en 1874 le médecin légiste Ambroise Tardieu. Pour celui-ci, il s'agit des "souvenirs et impressions d'un individu dont le sexe avait été méconnu", bref, d'un "pseudohermaphrodite". À plus de vingt et un ans, Herculine Adélaïde Barbin, surnommée Alexina, devenait en effet Abel en changeant de sexe à l'état civil. Sa plume passionnée raconte les tourments et les émois de la jeune fille, et son récit s'achève sur l'amer désespoir de l'homme.
En 1978, Michel Foucault publie ce document remarquable, assorti d'un dossier historique. À l'assignation médicale d'un "vrai sexe", le philosophe de l'Histoire de la sexualité répond, dans la préface qu'il donne à la traduction américaine en 1980, en invoquant les "délices" d'une vie "sans sexe certain".
Outre cette préface et la nouvelle Un scandale au couvent du médecin allemand Oscar Panizza, l'ouvrage est enrichi d'une postface d'Éric Fassin qui souligne combien le développement des gender studies mais aussi celui du mouvement "intersexe" engagent aujourd'hui à relire ce récit remarquable où Herculine / Abel s'invente un "vrai genre".
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Les relations dans la vie quotidienne sont troublées par des conflits qui, si la violence physique est écartée, conduisent à formuler des critiques auxquelles répondent des justifications.
En tirant parti à la fois de la philosophie politique et de l'étude sociologique de disputes, notamment au sein d'organisations, les auteurs montrent que ces critiques et ces justifications ne sont pas seulement circonstancielles mais qu'elles expriment un sens commun de la justice. Ils mettent au jour les règles que doivent suivre ces critiques et ces justifications pour être jugées recevables. Elles composent une grammaire inscrite à la fois dans le langage et dans des dispositifs matériels qui l'ancrent dans la réalité.
Cette grammaire du désaccord et de l'accord est pluraliste : elle permet aux personnes de prendre appui sur différents ordres d'évaluation en fonction de la situation dans laquelle elles se trouvent plongées. Elle contribue en outre à réduire la tension entre, d'une part, ces ordres de grandeur et, de l'autre, un principe d'égalité aspirant à une humanité commune. Loin d'être un relativisme, ce pluralisme offre des ressources dont les personnes peuvent se saisir pour résister à la menace constante de domination.
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Archéologie : mot dangereux puisqu'il semble évoquer des traces tombées hors du temps et figées maintenant dans leur mutisme. En fait, il s'agit pour Michel Foucault de décrire des discours. Non point des livres (dans leur rapport à leur auteur), non point des théories (avec leurs structures et leur cohérence), mais ces ensembles à la fois familiers et énigmatiques qui, à travers le temps, se donnent comme la médecine, ou l'économie politique, ou la biologie. Ces unités forment autant de domaines autonomes, bien qu'ils ne soient pas indépendants, réglés, bien qu'ils soient en perpétuelle transformation, anonymes et sans sujet, bien qu'ils traversent tant d'oeuvres individuelles.
Et là où l'histoire des idées cherchait à déceler, en déchiffrant les textes, les mouvements secrets de la pensée, apparaît alors, dans sa spécificité, le niveau des 'choses dites' : leur condition d'apparition, les formes de leur cumul et de leur enchaînement, les règles de leur transformation, les discontinuités qui les scandent. Le domaine des choses dites, c'est ce qu'on appelle l'archive ; l'archéologie est destinée à en faire l'analyse.
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"Du grand ouvrage dont rêvait Merleau-Ponty ne restent que cent cinquante pages manuscrites. Quelle est leur fonction : introduire. Il s'agit de diriger le lecteur vers un domaine que ses habitudes de pensée ne lui rendent pas immédiatement accessible. Il s'agit, notamment, de le persuader que les concepts fondamentaux de la philosophie moderne - par exemple, les distinctions du sujet et de l'objet, de l'essence et du fait, de l'être et du néant, les notions de conscience, d'image, de chose - dont il est fait constamment usage impliquent déjà une interprétation singulière du monde et ne peuvent prétendre à une dignité spéciale quand notre propos est justement de nous remettre en face de notre expérience, pour chercher en elle la naissance du sens."
Claude Lefort.
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"Toute idée devrait être neutre ; mais l'homme l'anime, y projette ses flammes et ses démences : le passage de la logique à l'épilepsie est consommée... Ainsi naissent les mythologies, les doctrines, et les farces sanglantes. Point d'intolérance ou de prosélytisme qui ne révèle le fond bestial de l'enthousiasme.
Ce qu'il faut détruire dans l'homme, c'est sa propension à croire, son appétit de puissance, sa faculté monstrueuse d'espérer, sa hantise d'un dieu."
Cioran
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En 1930, alors que, surréaliste dissident, il travaillait à la revue Documents, Michel Leiris fut invité par son collègue l'ethnographe Marcel Griaule à se joindre à l'équipe qu'il formait pour un voyage de près de deux ans à travers l'Afrique noire.
Écrivain, Michel Leiris était appelé non seulement à s'initier à la recherche ethnographique, mais à se faire l'historiographe de la mission, et le parti qu'il prit à cet égard fut, au lieu de sacrifier au pittoresque du classique récit de voyage, de tenir scrupuleusement un carnet de route. Mais, tour personnel donné à cette pratique, le carnet de Michel Leiris glissa vite vers le journal intime, comme s'il était allé de soi que, s'il se borne à des notations extérieures et se tait sur ce qu'il est lui-même, l'observateur fausse le jeu en masquant un élément capital de la situation concrète. Au demeurant, celui pour qui ce voyage représentait une enthousiasmante diversion à une vie littéraire dont il s'accommodait mal n'avait-il pas à rendre compte d'une expérience cruciale : sa confrontation tant avec une science toute neuve pour lui qu'avec ce monde africain qu'il ne connaissait guère que par sa légende ?
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"Parti à la recherche des origines de la sociologie moderne, j'ai abouti, en fait, à une galerie de portraits intellectuels... Je me suis efforcé de saisir l'essentiel de la pensée de ces sociologues, sans méconnaître ce que nous considérons comme l'intention spécifique de la sociologie, sans oublier non plus que cette intention était inséparable, au siècle dernier, des conceptions philosophiques et d'un idéal politique." Raymond Aron.
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L'Histoire de l'érotisme devait être la suite de La part maudite. Essai d'économie générale. Georges Bataille avait un grand projet : élaborer, à partir d'une critique de l'utile, une économie générale qui désaliène l'homme rivé au travail et lui restitue sa "part maudite" - la consumation, libre, gratuite.
"Je me sens très seul à chercher, dans l'expérience du passé, non les principes mis en avant, mais les lois ignorées qui menèrent le monde et dont la méconnaissance nous laisse engagés sur les voies de notre malheur." Il fait l'hypothèse d'un temps originaire où le monde se serait donné à l'homme dans un pur rapport d'immanence et d'immédiateté. Le monde était alors l'intime de l'homme, dans un rapport d'excès, de passion : "Le monde intime s'oppose au monde réel comme la démesure à la mesure, la folie à la raison, l'ivresse à la lucidité."
Désormais, dans le monde transcendant - ce monde où l'homme rivé au travail s'invente des fins à atteindre hors de lui et dans l'avenir -, l'érotisme permet de redécouvrir la possibilité de dépenses d'énergie sans cette utilité immédiate qui nous asservit. L'érotisme enfièvre, dépense, gaspille. Puisque sur lui seul l'avenir n'a pas de prise, il est "la voie la plus puissante pour entrer dans l'instant".
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Pourquoi toujours revenir à Max Weber ? Il disait de son oeuvre - pour s'en réjouir - qu'elle était appelée, comme tout travail scientifique, à être dépassée. Eu égard aux incertitudes qui s'emparent à nouveau des sciences sociales - de la sociologie, en particulier - quant à leurs fondements et à leurs objets, le plus grand profit pourra être tiré de la lecture des textes inédits en français qui sont présentés ici. Max Weber y affiche l'ambition de "formuler en des termes que nous espérons plus appropriés et un peu plus corrects ce que toute sociologie empirique veut dire effectivement quand elle parle des mêmes choses".
Une réflexion sur l'épistémologie et la méthodologie des sciences sociales, sur leur "logique", s'imposait d'autant plus, aux yeux de Weber, qu'un ébranlement des modèles d'intelligibilité au sein des sciences sociales (économie et histoire en tête) touchait aux "problèmes en apparence les plus élémentaires de notre discipline, sa méthode de travail, sa manière de former ses concepts et la validité de ceux-ci."
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Déracinement par l'exode rural, aliénation par le travail, nervosité et neurasthénie de la vie urbaine, mais aussi migrations et mélanges... Oswald Spengler se penche en philosophe sur ces questions et y voit le déclin de l'Occident, perçu comme une dégénérescence biologique. Chaque grande civilisation est un organisme vivant qui naît, croît, se corrompt et meurt, puis est remplacé par un nouveau au rythme de la lente pulsation des siècles.
Le premier volume paraît en 1918, au moment de l'effondrement allemand, le second en 1922, et Spengler semble fournir à un public en désarroi une herméneutique de son malheur, ainsi qu'un message d'espoir.
Le pédagogue inconnu devient une figure majeure de la "révolution conservatrice", qui prône de réagir au déclin et aux effets négatifs de la modernité par l'instauration d'un régime autoritaire et d'un socialisme national, qui n'est cependant pas, tant s'en faut, le national-socialisme.
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Face aux progrès des biosciences, au développement des biotechnologies, au déchiffrement du génome, le philosophe ne peut plus se contenter des déplorations sur l'homme dominé par la technique. Les réalités sont là, qui exigent de lui qu'il les pense à bras-le-corps.
Désormais, la réponse que l'éthique occidentale apportait à la vieille question "Quelle vie faut-il mener ?" : "pouvoir être soi-même", est remise en cause. Ce qui était jusqu'ici "donné" comme nature organique par la reproduction sexuée et pouvait être éventuellement "cultivé" par l'individu au cours de son existence est, en effet, l'objet potentiel de programmation et de manipulation intentionnelles de la part d'autres personnes.
Cette possibilité, nouvelle à tous les plans : ontologique, anthropologique, philosophique, politique, qui nous est donnée d'intervenir sur le génome humain, voulons-nous la considérer comme un accroissement de liberté qui requiert d'être réglementé, ou comme une autorisation que l'on s'octroie de procéder à des transformations préférentielles qui n'exigent aucune autolimitation ?
Trancher cette question fondamentale en la seule faveur de la première solution permet alors de débattre des limites dans lesquelles contenir un eugénisme négatif, visant sans ambiguïté à épargner le développement de certaines malformations graves. Et de préserver par là même la compréhension moderne de la liberté.
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Au commencement, il y a la "genèse des simulacres" : commutabilité du beau et du laid dans la mode, de la gauche et de la droite en politique, du vrai et du faux dans tous les messages des médias et des réseaux sociaux ; de l'utile et de l'inutile au niveau des objets, de la nature et de la culture à tous les niveaux de la signification. Tous les grands critères humanistes de la valeur, ceux de toute une civilisation du jugement moral, esthétique, pratique, s'effacent devant notre système d'images et de signes.
La société de consommation abolit la distinction entre le nécessaire et l'accessoire ; elle crée sans cesse de nouveaux besoins. En cela, c'est elle, et nulle force subversive, qui instaure au coeur du système l'échange symbolique. Quoi qu'en aient dit les anthropologues, ce n'est pas uniquement dans les sociétés premières qu'existe cet échange, le potlatch - cette règle ancestrale qui oblige qu'à chaque présent soit rendu un présent supérieur. Ce duel symbolique conduit à la ruine de l'un des participants. L'échange symbolique devient chez Baudrillard (1929-2007) un principe de défi à tous les ordres en place, un principe qu'il juge supérieur à toute rébellion et à toute révolution (toujours menacées de récupération par le Capital lui-même). Il nous invite à "défier l'adversaire par un don auquel il ne puisse pas répondre, sinon par sa propre mort et son propre effondrement".
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La vérité scientifique se détache de la conscience qui l'a élaborée puisque, à un certain degré d'approximation, elle vaut éternellement. En va-t-il de même pour la reconstitution historique ? La science historique, comme les sciences de la nature, se développe-t-elle selon un rythme d'accumulation et de progrès ou, au contraire, chaque société récrit-elle son histoire parce qu'elle se choisit et recrée son passé ?
Cette analyse devenue classique de l'historicité conduit Raymond Aron à une philosophie historique qui, s'opposant aux synthèses spéculatives en même temps qu'au positivisme, est aussi une philosophie de l'histoire. "La philosophie de l'histoire, écrit-il, est une partie essentielle de la philosophie, elle en est à la fois l'introduction et la conclusion. Introduction, puisqu'il faut comprendre l'histoire pour penser la destinée humaine, d'un temps et de toujours, conclusion, puisqu'il n'y a pas de compréhension du devenir humain sans une doctrine de l'homme. Double caractère qui serait contradictoire si l'on se représentait la philosophie selon le schéma des théories déductives, mais qui devient intelligible dès qu'on la rattache à la dialectique de la vie et de l'esprit, qui s'achève dans la conscience de soi de l'être qui se situe dans l'histoire et se mesure à la vérité."
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La démoccratie règne sans partage ni mélange. Elle est venue à bout de ses vieux ennemis, du côté de la réaction et du côté de la révolution. Il se pourrait toutefois qu'elle ait trouvé son plus redoutable adversaire : elle-même.
Ce livre rassemble des textes écrits sur vingt ans qui scrutent sous différentes faces le prodigieux changement auquel il nous a été donné d'assister. Nous avons vu la démocratie non seulement l'emporter et avancer de façon décisive, mais revenir à ses sources en se recentrant sur les droits de l'homme et en se remodelant à leur école. Sauf que, par un retournement encore plus inattendu, cette ressaisie des premiers principes la conduit en réalité à saper ses propres bases. Elle se défait en progressant. C'est cette difficulté d'être inédite qu'explore Marcel Gauchet, de la politique à la psychologie, en passant par l'éducation.
"Rien n'échoue comme le succès", observait Chesterton. La démocratie survivra-t-elle à son triomphe ?
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