Au rythme où progresse le brave new world libéral - synthèse programmée de Brazil, de Mad Max et de l'esprit calculateur des Thénardier -, si aucun mouvement populaire autonome, capable d'agir collectivement à l'échelle mondiale, ne se dessine rapidement à l'horizon (j'entends ici par «autonome» un mouvement qui ne serait plus soumis à l'hégémonie idéologique et électorale de ces mouvements «progressistes» qui ne défendent plus que les seuls intérêts culturels des nouvelles classes moyennes des grandes métropoles du globe, autrement dit, ceux d'un peu moins de 15 % de l'humanité), alors le jour n'est malheureusement plus très éloigné où il ne restera presque rien à protéger des griffes du loup dans la vieille bergerie humaine. Mais n'est-ce pas, au fond, ce que Marx lui-même soulignait déjà dans le célèbre chapitre du Capital consacré à la «journée de travail»? «Dans sa pulsion aveugle et démesurée, écrivait-il ainsi, dans sa fringale de surtravail digne d'un loup-garou, le Capital ne doit pas seulement transgresser toutes les limites morales, mais également les limites naturelles les plus extrêmes.» Les intellectuels de gauche n'ont désormais plus aucune excuse.
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Les États-Unis l'appelaient « Unabomber ». De 1978 à 1996, il a défié le FBI et la CIA qui mirent sa tête à prix pour un million de dollars. Pendant dix-huit ans, Kaczynski a envoyé par la poste des colis piégés à des professeurs d'université, des vendeurs d'ordinateurs, des patrons de compagnies aériennes... Bilan : 3 morts et 23 blessés. En 1995, il obtient sous la menace la publication dans le Washington Post et dans le New York Times d'un manifeste intitulé L'Avenir de la société industrielle. En 1996, il est finalement arrêté grâce à son frère qui reconnaît dans le Manifeste de 1971 l'esquisse de ce texte. Influencé par les travaux de Jacques Ellul, Theodore Kaczynski voit dans la technologie « une force sociale plus puissante que le désir de liberté » et, diagnostiquant « l'impossibilité de réformer le complexe industrialo-technologique », appelle à sa destruction pure et simple. La folie, la radicalité de ses propos et de ses actes ne disqualifient pas pour autant l'évidence révolutionnairement incorrecte des deux textes contenus dans ce volume : Le Manifeste de 1971, inédit en français, et L'Avenir de la société industrielle. Ils sont préfacés et annotés par Jean-Marie Apostolidès, qui fut le premier en France à faire connaître les écrits de Theodore Kaczynski.
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Dans ce livre, Andrea Cavalletti, un des philosophes italiens les plus doués de sa génération, se propose de répondre à la question suivante : quel est le sujet de la politique ? Autrement dit, qu'est-ce qui fait une classe (et c'est moins affaire de nombre que de constitution et d'intention) et que peut faire une classe (à la politique et à la ville) ? À partir de l'analyse lumineuse d'un texte de Walter Benjamin dont Theodor Adorno a souligné l'importance, Cavalletti montre ce qui distingue la classe de la foule et de la masse entendues comme déterminations compactes et biologiques et qui lui permet de se constituer comme sujet politique : la solidarité. Ce principe de solidarité n'a rien à voir avec une apologie des bons sentiments, mais désigne le processus par lequel la masse monolithique se défait, se différencie et se structure. De cette manière, l'individu n'est plus seul dans la foule ou écrasé par l'entreprise. Il invente un nouveau lien qui lui permet d'exister en société. C'est en ce sens que le philosophe Giorgio Agamben a pu écrire de ce livre : « Tout bouge et s'éclaire sous le regard d'Andrea Cavalletti : la ville, la foule, les masses, la nature, le mythe. Ce qui enfin apparaît, à travers une lecture saisissante de Walter Benjamin, n'est rien de moins qu'une nouvelle figure du politique. »
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La politique, qui n'est plus qu'une voix dans le concert de l'auto-organisation sociale, a désormais pour fonction, dans une société pluraliste, d'articuler les systèmes différenciés qui la composent : elle les invite à s'auto-limiter, sans oublier de s'auto-limiter elle-même.
Une telle conception remet bien évidemment en cause le primat de l'État-nation qui, sans pour autant disparaître, doit cesser de se penser comme un principe d'organisation dominant, prendre sa place dans un système de régulation à niveaux multiples. Très loin de la théorie anarchiste de la destruction de l'État, comme de la théorie marxiste du dépérissement de l'État, tout aussi loin d'une théorie libertarienne de l'État minimal, Daniel Innerarity nous montre qu'il est aujourd'hui possible de dépasser l'alternative du dirigisme et du spontanéisme néo-libéral.
Mais une telle transformation ne deviendra effective qu'à deux conditions renoncer définitivement à l'opposition de la gauche et de la droite, telle qu'elle a été formulée jusqu'à présent, et inventer une social-démocratie anti-étatique capable de recueillir à sa manière le meilleur de l'héritage libéral. Voici un livre qui, en alliant technicité philosophique, grande clarté et élégance de l'écriture, s'attache à redonner un sens à la politique à une époque où les discours sur l'impuissance de celle-ci ne manquent pas.
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On n'a jamais tant parlé de l'Iran et pourtant le mystère demeure.
La révolution islamique de 1979 est une date bien plus importante que tous les évènements liés à l'islamisme depuis, 1 1 septembre 2001 inclus. Elle seule a mis sur pied un modèle qui n'a renoncé à aucune de ses ambitions et trouve dans le désordre croissant de son environnement régional les conditions d'une nouvelle expansion. Les crises ponctuelles qui défrayent la chronique - soutien au terrorisme, programme nucléaire aujourd'hui - nous éloignent toutefois de la seule question qui importe, celle de la nature et des fins poursuivies par le régime islamique.
Force est de constater que, depuis 1979, rien n'a été fait pour le mettre en question. L'université, dans sa majorité aussi complaisante à son égard qu'elle le fut il y a trente ans à l'égard du maoïsme, réclame la maîtrise de la version officielle de l'histoire: la révolution islamique répondrait peu ou prou à l'attente des Iraniens. Aux yeux de Ramine Kamrane et de Frédéric Tellier, rien n'est plus faux.
Malgré ses spécificités, le système islamique relève de l'emprise d'un totalitarisme qui doit être pensé dans le sillage de ses deux premières vagues, nazie et soviétique. Le fait totalitaire n'est pas mort. Nous en sommes les contemporains. La pensée anti-totalitaire que l'on croyait remisée avec son objet est bien la seule à même de nous aider à percer ce "mystère islamiste" presque trentenaire et toujours entier.
Inscrire la question iranienne dans la généalogie du fait totalitaire revient à souligner que la situation actuelle de l'Iran n'est pas de l'ordre de la fatalité. La rupture, qui viendra des profondeurs de la société iranienne, menace le régime.
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Parler de corde dans la maison d'un pendu : pendant deux ans, épaulée par une joyeuse équipe d'esprits libres, Élisabeth Lévy s'est livrée à cet exercice acrobatique sur France Culture. "Le Premier Pouvoir", l'émission hebdomadaire dont elle était la productrice et l'animatrice, a offert aux auditeurs une réflexion singulière sur "la société des médias" - terme emprunté à la revue Le Débat. Une entreprise individuelle fondée sur la conviction qu'il est impossible de penser le monde d'aujourd'hui sans penser la scène médiatique.
Le système médiatique considère avec bienveillance toute remise en cause du pouvoir. A condition qu'il s'agisse du pouvoir des autres. La radio publique n'échappe pas à la règle, bien au contraire. L'ordre subversif y règne. "Sois rebelle et tais-toi", ainsi pourrait-on résumer sa loi. La musique générale du "Premier Pouvoir" était-elle trop grinçante ? L'émission qui conjuguait mauvais esprit et bonne audience a brutalement été supprimée par la direction de France Culture.
"Le Premier Pouvoir" a disparu des ondes. Le Premier Pouvoir - le livre - revisite sans en taire les limites et les insuffisances, cette expérience parfois douloureuse, souvent drolatique, toujours passionnante. Et nous en apprend beaucoup sur la fabrication de l'opinion correcte par gros temps démocratique. A travers le récit de cette aventure et mésaventure, Élisabeth Lévy nous offre un fort instructif tableau d'époque.
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