La Génération qui a gaspillé ses poètes sonne comme un requiem pour une génération sacrifiée : celle des poètes russes des années vingt exécutés, torturés comme Blok ou suicidés, comme Essenine et surtout Maïakovski, que Jakobson a bien connu avant de fuir la Russie et à qui est consacré l'essentiel de ce texte. À travers cette figure tragique, tourmentée, contradictoire, déchirée entre l'idéal révolutionnaire et le désespoir personnel, l'auteur fait revivre toute une époque et livre un témoignage unique.
Roman Jakobson (Moscou, 1896 - Boston, 1982) est l'un des plus grands linguistes du XXe siècle. Son oeuvre couvre une multitude de domaines : sémiotique, anthropologie, études slaves, psychanalyse, études littéraires... Il fut notamment professeur à l'université de Harvard et au Massachussetts Institute of Technology, où son enseignement exercera une influence durable, en contribuant à abolir les frontières entre linguistique européenne et américaine.
30 prêts - 1825 jours
La correspondance publiée ici, pour la première fois, s'ouvre par des contrepèteries et se referme sur la couleur des voyelles. Elle entrecroise sur presque un demi-siècle le fil de deux vies dans la trame d'une amitié savante qui ne s'interrompra qu'avec la mort. Il y est question de poésie et de mathématiques, de champignons et d'épopées médiévales, autant que de langues et de mythes. Car, loin de l'image dont on les a parfois affublés, le linguiste Roman Jakobson (1896-1982) et l'anthropologue Claude Lévi-Strauss (1908-2009), ces deux grands sphinx des sciences sociales du xxe siècle, furent, plus que d'autres, des médiateurs entre l'abstraction de la science et l'expérience sensible. La théorie et la volupté se conjoignent dans leurs œuvres respectives autant que dans leur rencontre.
Dans l'éloge qu'il fera de Lévi-Strauss, Jakobson insistera sur un point : il faut concilier le sens de la variation et la recherche des invariants, ne pas opposer la passion pour le singulier, le différent, l'unique, et le souci des formes universelles – bref la science et l'expérience, le concept et la sensation, la vérité et la vie. Il attribue à son ami la solution : faire de ces fameuses structures invariantes rien d'autre que des matrices de variation. Nous n'avons rien en commun sinon ce qui nous fait différer les uns des autres ! Et cela, non seulement au sein de l'humanité, mais jusque dans l'immense concert de la diversité biologique et cosmique. Saisir sa place dans ce jeu de variations, c'est se comprendre soi-même – et telle est la tâche la plus haute des sciences humaines, pour laquelle témoigne cette correspondance inédite.
Emmanuelle Loyer et Patrice Maniglier
30 prêts - 2190 jours