Il est d'usage, aujourd'hui, de distinguer un bon libéralisme politique et culturel - qui se situerait « à gauche » - d'un mauvais libéralisme économique, qui se situerait « à droite ».
En reconstituant la genèse complexe de cette tradition philosophique, Jean-Claude Michéa montre qu'en réalité, nous avons essentiellement affaire à deux versions parallèles et complémentaires du même projet historique : celui de sortir des terribles guerres civiles idéologiques des XVIe et XVIIe siècles, tout en évitant simultanément la solution absolutiste proposée par Hobbes. Ce projet pacificateur a évidemment un prix : il faudra désormais renoncer à toute définition philosophique de la « vie bonne » et se résigner à l'idée que la politique est simplement l'art négatif de définir « la moins mauvaise société possible ». C'est cette volonté d'exclure méthodiquement de l'espace public toute référence à l'idée de morale (ou de décence) commune - supposée conduire à un « ordre moral » totalitaire ou au retour des guerres de religion - qui fonde en dernière instance l'unité du projet libéral, par-delà la diversité de ses formes, de gauche comme de droite.
Tel est le principe de cet « empire du moindre mal», dans lequel nous sommes tenus de vivre.
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Le libéralisme est, fondamentalement, une pensée double: apologie de l'économie de marché, d'un côté, de l'État de droit et de la libération des moeurs de l'autre.
Mais, depuis George Orwell, la double pensée désigne aussi ce mode de fonctionnement psychologique singulier, fondé sur le mensonge à soi-même, qui permet à l'intellectuel totalitaire de soutenir simultanément deux thèses incompatibles. Un tel concept s'applique à merveille au régime mental de la nouvelle intelligentsia de gauche. Son ralliement au libéralisme politique et culturel la soumet, en effet, à un double bina affolant.
Pour sauver l'illusion d'une fidélité aux luttes de l'ancienne gauche, elle doit forger un mythe délirant: l'idéologie naturelle de la société du spectacle serait le néoconservatisme, soit un mélange d'austérité religieuse, de contrôle éducatif impitoyable, et de renforcement incessant des institutions patriarcales, racistes et militaires. Ce n'est qu'à cette condition que la nouvelle gauche peut continuer à vivre son appel à transgresser toutes les frontières morales et culturelles comme un combat anticapitaliste.
La double pensée offre la clé de cette étrange contradiction. Et donc aussi celle de la bonne conscience inoxydable de l'intellectuel de gauche moderne.
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« Que peut bien signifier aujourd'hui le vieux clivage droite-gauche tel qu'il fonctionne depuis l'affaire Dreyfus ? Il me semble que c'est avant tout le refus de remettre cette question en chantier - et de tirer ainsi les leçons de l'histoire de notre temps - qui explique en grande partie l'impasse dramatique dans laquelle se trouvent à présent tous ceux qui se reconnaissent encore dans le projet d'une société à la fois libre, égalitaire et conviviale. Dans la mesure, en effet, où la possibilité de rassembler le peuple autour d'un programme de sortie progressive du capitalisme dépend, par définition, de l'existence préalable d'un nouveau langage commun - susceptible, à ce titre, d'être compris et accepté par tous les "gens ordinaires" -, cette question revêt forcément une importance décisive. Je vais donc essayer d'expliquer pour quelles raisons j'en suis venu à estimer que le nom de gauche - autrefois si glorieux - ne me paraît plus vraiment en mesure, aujourd'hui, de jouer ce rôle fédérateur ni, par conséquent, de traduire efficacement l'indignation et la colère grandissantes des classes populaires devant le nouveau monde crépusculaire que les élites libérales ont décidé de mettre en place. »
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