Groggy après la dissolution manquée et les législatives du printemps 1997, KO debout après la débandade des élections régionales, le mouvement gaulliste lutte pour sa survie. Ce n'est pas seulement la « machine électorale » enviée par les autres partis qui connaît des ratés, c'est tout le RPR qui vacille. Les chefs doutent : Philippe Séguin, l'éternel minoritaire, est en introspection ; Alain Juppé, le « dauphin », en exil à Bordeaux ; Nicolas Sarkozy, le « traître » balladurien, en repentance ; Edouard Balladur, en écriture, et Charles Pasqua, en déshérence. Les anciens lieutenants de Chirac - Tiberi, Toubon - se déchirent. Le spectre des « affaires » hante les plus hautes sphères du parti et de l'appareil d'État. Pendant ce temps, le Front national s'emploie à liquider méthodiquement l'ennemi héréditaire, attirant ses militants et ses électeurs. Quant à Jacques Chirac, trop occupé par ses nouveaux habits de monarque, il n'écoute plus ceux qui l'ont fait roi. Alors, où va le RPR ? Pendant deux ans, Emmanuel Hecht et Eric Mandonnet ont suivi au jour le jour la lente décomposition du mouvement gaulliste. Ils ont donné la parole aux militants de la base et suivi, à huis clos, des sections locales, de Gennevilliers à Toulon, et des comités départementaux dans toute la France. Ils ont observé les Corréziens à l'épreuve du pouvoir, interrogé les cadres du mouvement dans les fédérations, reçu les confidences des dirigeants, et observé, dans les coulisses, les relations entre l'Élysée et la rue de Lille. A l'issue de ce périple, ils s'interrogent : quarante ans après le retour du général de Gaulle au pouvoir, le mouvement qui incarne la Ve République survivra-t-il aux tempêtes qui l'agitent ?
Eric Mandonnet, 33 ans, est journaliste à L'Express. Il a écrit Les hommes de l'ombre, conseillers, confidents et gourous politiques (Balland, 1995), avec David Martin-Castelnau, et Au coeur du RPR, enquête sur le parti du président (Flammarion, 1998), avec Emmanuel Hecht.
Les dimanches, les portes de l'Elysée restent closes. Pourtant, Jacques Chirac est généralement présent, qui a fait de ce jour une occasion de discussions approfondies, de tête-à-tête stratégiques, de réunions secrètes, en même temps que le destin - son destin - en a fait un moment de vérité personnelle. François Mitterrand avait ses « visiteurs du soir », qui venaient influer sur la politique nationale. Bien différente est la république chiraquienne, où le jour et la nuit ne s'opposent pas, mais où l'on cache le dimanche ce que la semaine ne saurait voir. Les « visiteurs du dimanche » sont invités à rester discrets. Mais ils ne se font jamais prier pour en être : c'est avec jalousie qu'ils rencontrent alors le chef de l'Etat. Ils ne figurent même pas sur son agenda, réservé aux rendez-vous obligés de la fonction. C'est dire si leur présence s'explique autrement. Par l'amitié, assurent-ils ; la complicité, croient-ils ; l'influence, rêvent-ils...
Visiter les dimanches du chef de l'Etat au cours des trente derniers mois permet alors de mieux comprendre la Chiraquie. Côté cour, et côté jardin. Ce jour-là se croisent les gens qui comptent : élus, conseillers officiels ou hommes de l'ombre. Ce jour-là se gagnent, ou se perdent, les élections qui ont rythmé la vie nationale depuis les européennes de juin 1999. Ce jour-là s'écrivent les discours que le chef de l'Etat prononcera dans la semaine. Ce jour-là, si le théâtre de la cohabitation fait relâche, les répétitions continuent. Ce jour-là, quand Jacques Chirac l'homme public n'est pas tenu d'assister à des matchs de football, Jacques Chirac l'homme privé se délecte devant des rencontres de sumo. Ce jour-là apparaît, mieux qu'à aucun autre moment, la vérité d'un président.
Dans la Constitution à la mode chiraquienne, il existe une sorte d'immunité dominicale : « Le président de la république n'est responsables des actes accomplis dans l'exercice de ses fonctions »... que pendant la semaine. Le dimanche, Chirac n'est plus tout à fait le chef de l'Etat. Il n'en a d'ailleurs plus la tenue. Son gros gilet en laine blanche tient parfois lieu d'iconoclaste apparat présidentiel. Entre deux coups de fil à des responsables étrangers, il réfléchit aux affaires publiques, s'intéresse au sort de ses amis, règle des détails, aussi futiles paraissent-ils. Jacques Chirac fait ce qu'il a toujours fait, une vie durant : de la politique. Réfugié dans le château fort de l'Elysée, comme hier dans la citadelle de l'Hôtel de ville, il ne peut qu'être en mouvement perpétuel, au risque de tourner en rond. S'il cesse de pédaler, il tombe.
Tous les soirs, Emmanuel Macron reçoit une longue note confidentielle. Elle dit les horreurs de la société française, ses drames et ses dérives. La nuit tombe sur le bureau du président. La nuit remonte de ces feuilles de papier, miroir sans tain de la noirceur et de la souffrance humaines. Dès son arrivée à l'Élysée, Emmanuel Macron affronte les attentats, les violences, l'islamisme. Ces questions au coeur du pouvoir, il ne les ignore pas, il ne les minimise pas, il ne les lâche pas. Il cherche son chemin, il ne le trouve pas.
Ce n'est pas tant une question de résultats - les chiffres, ça va, ça vient - que de crédibilité, de gueule de l'emploi. Il vient d'un monde où l'identité est heureuse, l'avenir plein de promesses pour peu qu'on se donne la peine de le nourrir. Ses adversaires de droite l'accusent de naïveté, ceux de gauche de dureté. Incarnerait-il un juste milieu ?
Le commandement n'est pas une affaire de curseur. En matière de sécurité, on est cow-boy ou Indien, on ne peut pas porter un chapeau à larges bords et une couronne de plumes... en même temps. Le président est victime de son expression fétiche, dans un domaine où le pouvoir ne se découpe pas en morceaux, et de lui-même, qui réfléchit tant avant de passer à l'action.
Ce livre raconte Emmanuel Macron confronté au défi de l'autorité. Il essuie les tempêtes ou s'y prépare, avec un plan secret pour faire face à l'arrivée massive de migrants algériens, avec la peur de la fraternisation entre les policiers et les Gilets jaunes. Il lui arrive d'être « sur le cul » quand il apprend que des gamines se rendent à l'école à pied, leurs frères se la coulant douce en voiture. Il lui arrive d'être heureux qu'un jeune réfugié afghan se destine à la diplomatie. Il lui arrive de jouer en préparant soigneusement sa poignée de main à Donald Trump. Il lui arrive de s'alarmer. Il sait ces sujets sensibles, en particulier auprès des classes populaires. Lors d'un dîner de l'été 2019, il laisse percer ses craintes : « On est en train de perdre les prolos. »
Corinne Lhaïk est journaliste politique à l'Opinion et l'auteure de la biographie à succès d'Emmanuel Macron, Président cambrioleur (Fayard, 2020).
Éric Mandonnet est rédacteur en chef du service politique de L'Express et l'auteur, avec Ludovic Vigogne, de Ça, m'emmerde ce truc (Grasset, 2012), récit de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2012.
C'est un champion qui va perdre.
Un leader de droite qui joue avec le feu.
C'est un président qui n'en a plus que pour quatorze jours...
Jusqu'où aller pour l'emporter ? Comment préparer l'avenir ?