Marqué par l'expérience de l'exil, ce volume témoigne d'un moment à la fois biographique et historique au cours duquel, comme nombre d'artistes et savants juifs européens, Claude Lévi-Strauss est réfugié à New York. Écrits entre 1941 et 1947, alors qu'il n'a pas encore délaissé ses réflexions politiques, les dix-sept chapitres de ce livre restituent une préhistoire de l'anthropologie structurale.
Ces années américaines sont aussi celles de la prise de conscience de catastrophes historiques irrémédiables : l'extermination des Indiens d'Amérique, le génocide des Juifs d'Europe. À partir des années 1950, l'anthropologie de Lévi-Strauss semble sourdement travaillée par le souvenir et la possibilité de la Shoah, qui n'est jamais nommée.
L'idée de " signifiant zéro " est au fondement même du structuralisme. Parler d'Anthropologie structurale zéro, c'est donc revenir à la source d'une pensée qui a bouleversé notre conception de l'humain. Mais cette préhistoire des Anthropologies structurales un et deux souligne aussi le sentiment de tabula rasa qui animait leur auteur au sortir de la guerre et le projet – partagé avec d'autres – d'un recommencement civilisationnel sur des bases nouvelles.
Vincent Debaene
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Noël 1951. Nous sommes le dimanche 23 décembre à Dijon. Sur le parvis de la cathédrale on brûle un Père Noël. De cette scène, qui cristallise la résistance des autorités catholiques de l'après-guerre à un rituel païen venu d'outre-Atlantique, on peut voir aujourd'hui les photographies sur internet.
Claude Lévi-Strauss découvre ce fait divers dans la presse et s'en empare pour écrire un texte devenu depuis un classique. Plus de soixante ans après sa parution en 1952 dans la revue Les Temps Modernes, les lecteurs pourront découvrir le regard singulier du célèbre anthropologue sur un rituel récent en Occident dont l'ampleur n'a cessé de croître, tandis qu'Halloween aussi évoqué ici a traversé l'Atlantique à son tour.
Maurice Olender
¿Extrait de l'avant-propos
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Après la mort de Claude, j'ai dû faire de l'ordre dans ses papiers. J'ai lu ces paquets de lettres avec un plaisir étonné : j'entendais sa voix, je revoyais ses traits, les descriptions me rappelaient l'homme avec lequel j'ai vécu presque soixante ans. Être réservé, si intimidant et mal connu. De Strasbourg durant son service militaire, de Mont-de-Marsan où il exerça pour la première fois le métier de professeur, de New York en exil, ces lettres écrites presque quotidiennement forment une sorte de journal. Et un journal n'est rien d'autre qu'un autoportrait.
En le rendant public, je voudrais faire connaître l'homme qui se cachait derrière le savant.
Monique Lévi-Strauss
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La correspondance publiée ici, pour la première fois, s'ouvre par des contrepèteries et se referme sur la couleur des voyelles. Elle entrecroise sur presque un demi-siècle le fil de deux vies dans la trame d'une amitié savante qui ne s'interrompra qu'avec la mort. Il y est question de poésie et de mathématiques, de champignons et d'épopées médiévales, autant que de langues et de mythes. Car, loin de l'image dont on les a parfois affublés, le linguiste Roman Jakobson (1896-1982) et l'anthropologue Claude Lévi-Strauss (1908-2009), ces deux grands sphinx des sciences sociales du xxe siècle, furent, plus que d'autres, des médiateurs entre l'abstraction de la science et l'expérience sensible. La théorie et la volupté se conjoignent dans leurs œuvres respectives autant que dans leur rencontre.
Dans l'éloge qu'il fera de Lévi-Strauss, Jakobson insistera sur un point : il faut concilier le sens de la variation et la recherche des invariants, ne pas opposer la passion pour le singulier, le différent, l'unique, et le souci des formes universelles – bref la science et l'expérience, le concept et la sensation, la vérité et la vie. Il attribue à son ami la solution : faire de ces fameuses structures invariantes rien d'autre que des matrices de variation. Nous n'avons rien en commun sinon ce qui nous fait différer les uns des autres ! Et cela, non seulement au sein de l'humanité, mais jusque dans l'immense concert de la diversité biologique et cosmique. Saisir sa place dans ce jeu de variations, c'est se comprendre soi-même – et telle est la tâche la plus haute des sciences humaines, pour laquelle témoigne cette correspondance inédite.
Emmanuelle Loyer et Patrice Maniglier
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