Notre époque voit se multiplier, dans la confusion des repères et du vocabulaire, des conflits qui témoignent que le paysage devient un enjeu social d'une importance déterminante. Il importait de mettre en relief quelques idées fortes, combinant unitairement diverses échelles d'espace et de temps pour saisir, de manière cohérente, pourquoi la notion de paysage n'existe ni partout ni toujours, pourquoi la société française de cette fin de millénaire est si avide de paysage, pourquoi, suivant les cas, le passage d'une autoroute peut massacrer ou au contraire aviver l'identité d'un lieu...
L'espace de la société japonaise, c'est aussi bien la manière dont le moi s'y pose face au monde que celle dont les paysans ont mis en valeur les plaines de l'archipel ; c'est le plan de la citadelle du shôgun à Edo, mais tout autant certains principes managériaux des grandes entreprises. En effet, chaque société organise son espace selon une logique d'ensemble qui lui est propre : cette organisation reproduit analogiquement les mêmes principes au plan mental et au plan social, tout comme au plan matériel. La logique d'ensemble de la spatialité japonaise repose sur une assise culturelle radicalement différente de la nôtre. Elle n'est donc pas transposable comme telle ; mais son efficacité comme ses limites nous invitent à comprendre ce qu'a de particulier, donc de dépassable, notre propre vision du monde.
Administrateur hors pair, remarquable observateur du social, du religieux et du politique, Augustin Berque fut sans conteste l'un des meilleurs analystes de l'Algérie coloniale. Aujourd'hui, sa lecture est irremplaçable à qui veut comprendre la période-clé de l'entre-deux-guerres. D'accès jusqu'à présent difficile (non publication pour devoir de réserve, éparpillement, diffusion confidentielle), les textes de Berque sont enfin réunis grâce aux recherches de l'orientaliste Jacques Berque, son fils, qui a complété l'ensemble par des documents inédits puisés dans les archives familiales. La totalité de l'oeuvre d'un observateur lucide et non conformiste est ainsi représentée. Elle livre les éléments indispensables à la reconstitution de la politique française en Algérie et à la saisie d'une société indigène en pleine mutation.
Plus de soixante auteurs, choisis parmi les meilleurs spécialistes français, occidentaux et japonais, présentent les traits essentiels de la civilisation japonaise, couvrant les arts, la littérature, la pensée, la société, la vie quotidienne, la technologie contemporaine... L'histoire est condensée sous forme de chronologie synthétique, la géographie sous celle de cartes.
L'existence humaine est géographique : non seulement nous avons nécessairement un lieu physique sur la planète, mais notre être se fonde sur le couplage structurel d'un corps animal et d'un milieu technique et symbolique, son complément à la fois social et écologique. Ce couplage engendre la réalité des milieux humains, dont l'ensemble forme l'écoumène : le rapport onto-géographique de l'humanité avec la Terre.
Augustin Berque est une figure discrète. L'oeuvre de ce géographe, philosophe, grand orientaliste et traducteur n'en irrigue pas moins la pensée contemporaine. Ses pas, du Maroc au Japon, l'ont mené à prêter l'oreille à la façon dont les paysages se peuplent, à dire la singularité des mondes à partir de la multitude des liens qui les composent et qui font de nature et culture un cheminement commun. Ce livre est une invitation à entrer dans l'univers de ce passeur et infatigable voyageur. Augustin Berque s'y raconte et montre comment son oeuvre et sa vie se sont nourries mutuellement. « Un géographe, ça pense avec ses pieds », dit le mantra légué par l'un de ses maîtres à penser, autre façon de dire qu'il n'est de savoir que situé, éprouvé, habité. On y découvre ainsi un parcours d'intellectuel, les grands événements qui l'ont traversé. On y apprend surtout à penser par le milieu grâce à la mésologie, cette méthode qu'il a participé à forger, à même de raviver les liens que nous entretenons à l'autre, aux humains comme aux non-humains. Il invite enfin à habiter autrement la Terre en repensant territoires, architectures et démocraties.